10 Avril 2019
L’intérêt de cette rubrique est de donner la parole aux joueurs/joueuses (que ce soit des professionnels du métier, des esportifs, des gameurs passionnés ou des journalistes) pour parler de notre passion le jeu vidéo! Mais aussi l'impact sur leur vie, des souvenirs, et tout ce qui va avec.
Aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous proposer l'interview de Fanny REBILLARD qui a répondu à mes questions récemment. Ludomusicologue, je l'ai croisé sur Twitter et j'avais envie qu'elle parle de ses activités, de sa passion des OST et de sa vie de gameuse.
ça va :D
Je m’appelle Fanny, enchantée ! Initialement, je suis ludomusicologue, c’est-à-dire musicologue spécialisée dans l’étude des bandes-son de jeux vidéo, leur histoire culturelle et technique, la façon dont elles sont créées et dont l’interaction se fait entre le son et le joueur... Mais je suis aussi, c’est mon métier actuellement, archiviste numérique. J’ai rédigé mon mémoire de fin d’étude sur la préservation du son dans les jeux vidéo, mais aujourd’hui j’interviens dans toutes sortes de domaines qui n’ont rien à voir avec cette industrie. Je fais aussi des interventions sur mes sujets de recherches en plus de mon travail : la conférence que j’ai donnée à Rouen en février devrait bientôt être diffusée en ligne d’ailleurs.
À côté de ça, on me connaît aussi sous les pseudos de Ptit-Cactus ou Cactuceratops : je m’en sers parfois pour jouer en ligne, mais j’ai surtout publié pendant plus d’un an la chronique VGM sur jeuxvideo.com sous ce pseudonyme ! Je communique beaucoup sur mes travaux de recherche via Twitter, où j’essaye de faire des threads régulièrement pour répandre la bonne parole sur l’archivage et la musique de jeux vidéo (la liste des threads que j’ai faits jusqu’à présent est dispo ici : https://twitter.com/Cactuceratops/status/1022435963518300160 ).
Alors je ne suis pas à l’origine de MusicaLudi, donc autant en parler maintenant ! Le site est un rassemblement de bénévoles passionnés de musique de longue date qui se sont connus sur d’autres réseaux il y a bien longtemps. Le but du site est d’assurer un suivi en français de l’actualité de la musique de jeux dans le monde (concerts, sorties de disques…), et aussi de faire des critiques ou des articles plus analytiques et historiques, des interviews de compositeurs, de chercheurs… J’ai rejoint l’équipe en 2014, en proposant d’apporter une touche plus “musicologique” et d’aborder de nouveaux sujets. Le site est en stand-by depuis plus d’un an, et seul le compte twitter est actif pour partager l’actualité. Mais la reprise des publications est en cours de discussion et cela devrait arriver dans pas si longtemps que ça, avec quelques nouveautés en prime !
Je suis une grosse consommatrice d’OST depuis toujours (même de jeux auxquels je n’ai pas joué). Cette année, j’ai atteint mon objectif de longue date, qui était de me procurer toutes les OST de Pokémon que j’aime (il faut savoir qu’elles ne sont plus évidentes à trouver et à faire venir du Japon). Actuellement, je termine un article volumineux qui m’a demandé beaucoup de recherches sur les problèmes de localisation de la musique, et qui fait suite à une publication un peu ancienne (http://www.musicaludi.fr/14711). Mais j’aimerais bien trouver le temps de reprendre un cycle d’analyses intégrales sur les musiques de la série Zelda, vu que j’ai publié un gros article dans lequel j’analyse l’OST de Breath of the Wild, sur le site d’Antistar (http://antistar.fr/botw). Faire ce projet ambitieux avec lui m’a donné envie de reprendre mon vieux mémoire de master en musicologie sur la série, de corriger et de compléter toutes mes analyses en les rendant accessibles et agréables à lire, affaire à suivre donc.
Concernant les livres, j’ai plusieurs projets en cours actuellement, mais je ne peux pas dévoiler grand chose dessus pour le moment. Je peux simplement dire que ce sont sur des gros sujets et que c’est à la fois motivant et stressant !
J’en écoute tous les jours depuis mon adolescence, c’est probablement la part la plus importante de musique que j’écoute actuellement ! Ce qui est bien avec la VGM, comme l’ont dit plusieurs compositeurs, c’est qu’elle n’est pas un genre musical en soit : on peut donc y trouver tous les styles de musique possibles, ce qui la rend d’autant plus intéressante à explorer. En ce moment, j’essaye de rattraper un peu l’actualité, notamment sur les dernières grosses sorties de jeux, mais évidemment, je reviens toujours à certaines œuvres. Il y a beaucoup d’OST un peu anciennes que j’écoute très souvent : dans la série Pokémon j’ai un grand attachement pour tout ce qui a été composé sur DS, mais aussi pour la musique des spin-offs Donjon Mystère qui est impressionnante pour des jeux de cette ampleur, ou encore Okami, qui m’a donné envie de me documenter sur la musique traditionnelle japonaise. Mais il y a aussi beaucoup d’œuvres plus récentes qui sont absolument incontournables à mon sens : The Last Guardian, Everybody’s Gone to the Rapture, Zelda Breath of the Wild, Xenoblade Chronicles 2...
Comme je le disais plus haut, mes pseudos récurrents sont Ptit-Cactus et Cactuceratops. Ils viennent principalement du fait que j’aime les cactus (bon, c’est pas vraiment un scoop, on est d’accord). En réalité, Ptit-Cactus est le nom d’un personnage de Sword of Mana, le remake de Mystic Quest sur GBA : il est si... mystérieux (je plaisante), si… silencieux (ça c’est vrai), si, euh, Cactus… Il n’a absolument aucune incidence sur le scénario du jeu, puisqu’il est totalement annexe, mais j’ai toujours aimé ce personnage qui prend des notes en secret sur tout ce qui se passe. Quant à Cactuceratops, c’est un mélange entre un cactus et un tricératops, parce que j’aimais beaucoup les dinosaures et que je rigolais toujours avec la réplique d’un tricératops dans Le petit dinosaure et la vallée des merveilles : “les trois cornes ne jouent pas avec les longs cous”. Voilà, c’est finalement très logique, non ?
C’est assez variable car j’ai un emploi du temps et des activités très variables. Mais en moyenne, je joue entre 30mn et 1h par jour, parfois plus quand je le peux.
J’ai toujours été intriguée par les jeux, surtout quand mon grand frère jouait, alors que je ne savais pas encore parler. Mon père jouait aussi à une époque et j’aimais beaucoup le regarder (et lui crier dessus quand il perdait), j’ai donc été très tôt marquée par la SNES, puis la Nintendo 64 avec la sortie de Zelda Ocarina of Time. Mais je dirais que ma vraie vie de joueuse à commencé quand on m’a offert la GameBoy Color avec Pokémon Jaune : ma première console rien qu’à moi (comme pour beaucoup de gens nés dans les années 90) ! C’est là que j’ai commencé à écouter la musique avec attention, et à faire des expériences : j’aimais beaucoup “jouer” avec les voix de la GameBoy qui se coupent dans les premiers Pokémon lorsqu’on lance une attaque, le sound design de ces jeux me fascinait. Mon son d’attaque favorite était celui de l’onde boréale, ça m’a tellement marqué que je m’en souviens encore, et que j’en fait même un exemple récurrent quand je parle de l’esthétique de cette console en conférence !
Après ça, j’ai récupéré la SNES de mon frère, au collège, et j’ai commencé à m’intéresser à ce qui allait devenir le rétro à l’époque où on m’offrait aussi la Gamecube en parallèle, tout en rêvant (encore) sur la PS2. Et tout s’est enchaîné assez naturellement par la suite.
Je viens de finir Okami et la série des Phoenix Wright, et j’ai décidé de souffrir un peu sur Céleste. Au niveau des attentes, je suis très intéressée par le prochain Pokémon, même si je suis un peu blasée par les derniers épisodes de la série. J’ai aussi très hâte de voir quel est le prochain projet autour de Zelda pour lequel Monolith Soft est en train de recruter...
Je radote tout le temps sur les séries Zelda et Pokémon, alors… Zelda Ocarina of Time et Pokémon version Cristal ? J’attache aussi une grande importance à des jeux comme Portal et Smash Bros. Melee par exemple. En fait il s’agit surtout des jeux sur lesquels j’ai passé le plus de temps mais je m’intéresse à plein d’autres genres, même ceux auxquels je suis incapable de jouer correctement (les jeux d’horreurs ou de plate-forme par exemple). Avec le temps, je me suis construit une certaine culture qui fait que j’ai des dizaines de titres qui me viennent en tête lorsqu’on parle de jeux “cultes”, c’est assez difficile de répondre à cette question du coup !
Par habitude, je suis une grosse joueuse de consoles portables Nintendo : Game Boy, Game Boy Advance, DS, 3DS… Mais en ce moment, je suis surtout sur la Switch (particulièrement depuis le coma de ma bien-aimée 3DS). j’envisage aussi de ressortir ma Vita pour finir une flopée de jeux que j’ai dessus, mais que je n’ai jamais faits ou terminés : Dragon Quest Builders, Stein Gate, ou une partie du répertoire PS1 que je n’aurai jamais la force de faire sur une console de salon...
J’ai toujours aimé jouer seule, donc je fais principalement des jeux solos. J’ai eu une petite période MMO il y a des années, où je jouais beaucoup avec un groupe d’amis à Guild Wars 2 mais aujourd’hui je n’ai vraiment plus le temps ou la force de m’y consacrer. Je ne crache jamais sur une bonne partie de Smash Bros. entre amis par contre.
Une autre chose que j’adore faire, c’est ce que j'appellerais le “co-jouage” : c’est-à-dire jouer à deux à un jeu qui n’est pas fait pour le multi. J’ai beaucoup joué, à une époque, avec un de mes amis qui travaille dans l’industrie, et c’était à la fois un bon moyen de se faire découvrir des jeux qu’on aurait pas faits autrement, mais aussi de les analyser en direct, de débattre et de passer de bons moments dessus. Je pense que jamais je n’aurais autant aimé The Witness, par exemple, (qui est pourtant l’antithèse du jeu multi), et que je n’aurai pas trouvé la force de le finir seule si je ne l’avais pas fait comme ça.
Consoles portables, définitivement. :D
Sans grande surprise, les jeux de rôle, principalement japonais, mais je ne désespère pas un jour de me faire une vraie culture du côté occidental du genre. Si je devais me justifier, je dirais que j’apprécie énormément la façon dont ils construisent leur monde, surtout du point de vue musical. C’est aussi un style de jeu solo, qui correspond bien à mes habitudes et surtout au fait que je suis une grande lectrice : les longs dialogues ne me rebutent pas du tout, et l’exploration de l’univers mêlée à différents niveaux de personnalisation sont exactement ce qui me plaît en général.
Jeux de rôle, jeux d’aventure… Ce sont mes styles principaux, avec quelques à-côtés dans des genres où je suis moins à l’aise. Il m’arrive régulièrement de retomber dans des jeux musicaux aussi, surtout des jeux de rythme.
Difficile à dire… Ce qui fait qu’on n'a pas envie d’arrêter ? Plus sérieusement, je pense qu’il existe beaucoup de formes de jeux adaptées à plusieurs façons de jouer : on n'a pas toujours l’envie ou le temps de se lancer dans une aventure complexe à rallonge avec un scénario lourd et émotionnel. On se sent parfois paresseux, pas motivé à faire du “beau jeu” et on veut juste de se laisser porter par un flux de gameplay simple ou une belle ambiance. Parfois, on voudrait avoir plus qu’une succession de niveaux au level design impressionnant... Pour moi, un “bon” jeu, c’est celui dans lequel on trouve une réponse satisfaisante à ce qu’on cherche sur le moment.
Ce n’est pas vraiment un souvenir lié à un jeu, parce que j’en ai énormément (sinon je n’aimerais plus jouer depuis longtemps) mais je pense que le moment qui m’a le plus marquée, dans un sens positif, c’est quand j’ai commencé à parler de musique de jeux vidéo avec d’autres gens ou en public (en colloque, en conférence, ou en entretien avec des professionnels...). C’était un instant très important parce que j’ai découvert que cette pratique, ces habitudes musicales -qui me semblaient si banales- n’étaient pas partagées par tous, et surtout qu’elles intéressaient des gens qui avaient leur mot à dire ! Que ce soient des chercheurs en ludologie sans connaissance de la musique ou des musiciens n’ayant jamais touché un jeu de leur vie, je n’ai retiré que des bons moments des échanges que j’ai pu avoir avec tous ces gens. C’était aussi une bonne façon de voir tout le chemin accompli par le média, au départ peu considéré et méprisé, et aujourd’hui de plus en plus accepté et légitimé. Ces présentations ont évolué et pris des formes différentes mais je n’ai jamais été déçue qu’il s’agisse de réactions nostalgiques à des articles de vulgarisation ou bien de moments amusants passés à initier des non-joueurs à des jeux musicaux et au fonctionnement de l’interactivité lors de cours universitaires.
Je n’ai pas vraiment de “pire” souvenir, de partie qui se soit horriblement mal passée alors je pense que je vais rester sur ce fameux soir, quelques semaines après avoir eu ma GameBoy et Pokémon où je suis allée voir mon cousin qui adorait la série mais n’avait pas encore le droit à une console. Pour lui faire plaisir, j’ai recommencé ma partie du début, et sans savoir que ça effacerait tout, j’ai sauvegardé… Je ne connaissais que les jeux SNES avec plusieurs fichiers de sauvegarde, je ne pensais pas qu’on ne pouvait avoir qu’une seule partie, même si c’était logique au fond ! Je crois que je n’ai jamais autant pleuré sur un jeu qu’en le rallumant le lendemain.
Je pense que j’aimerais discuter avec Hirokazu Tanaka. Ce n’est pas le compositeur le plus connu bien qu’il soit à l’origine du thème du premier Metroid (entre autres) mais c’est surtout un technicien de grand talent qui a développé le hardware audio de la GameBoy et il est toujours actif aujourd’hui sur la scène musicale. Il a sans doute énormément de choses à nous apprendre sur le son et les jeux depuis l’ère de l’arcade. L’évolution de son rapport à la technologie me fascine, puisqu’il n’hésite pas à mélanger de la “chiptune” et des sons beaucoup plus modernes dans ses productions actuelles qui sont totalement uniques en leur genre.
Aujourd’hui, j’ai l’impression de manquer de temps pour jouer, même si j’essaye de consacrer une grande partie de ma vie aux jeux. Je pense qu’on a un peu tous ce problème une fois arrivés à un certain âge ! C’est difficile parfois de choisir entre ce qu’il faut jouer, écouter, lire, et regarder parmi tout ce qu’on a à disposition alors je suis contente d’avoir passé autant de temps sur certains jeux lorsque je pouvais encore me le permettre. Je ne m’en doutais pas à l’époque mais ça m’a permis d’acquérir certaines clés que j’utilise régulièrement aujourd’hui.
Quant au futur du jeu vidéo, je ne sais pas ce qu’il nous réserve mais ce sera définitivement enthousiasmant. J’ai eu l’occasion de tester quelques jeux en VR récemment, Beat Saber et Super Hot, alors que je ne m’étais pas spécialement intéressée par ce support jusqu’à présent, et j’ai été totalement absorbée par ce que j’ai entrevu en termes de gameplay, mais aussi de signalétique (principalement sonore). Le jeu vidéo n’arrête pas d’évoluer et de se reconstruire en mêlant son histoire propre et l’arrivée de nouvelles technologies, c’est absolument fascinant et j’espère bien y prendre part.
Un point m’inquiète un peu cependant (en tant qu’archiviste) : l’absence de copies “concrètes” des jeux qui a provoqué beaucoup de débats par rapport à Steam, au marché du jeu mobile, et plus récemment à l’annonce de Google Stadia. La préservation “à chaud” des informations qu’on rend disponibles en ligne et à distance amène des inquiétudes sur la conservation à long terme des jeux : on sait qu’aujourd’hui, un jeu retiré d’un Store est quasiment irrécupérable et devient injouable après quelques mises à jour. On a l’habitude de préserver du matériel, de réparer des cartouches, mais comment pourra-t-on sauver des données qui s’évaporent comme des fantômes et qu’il est impossible de véritablement posséder sur le plan légal et technique ? Ce phénomène ne concerne pas que les jeux, bien sûr, mais toutes les données utilisées via des services de streaming, ou des applications de la vie de tous les jours. Cependant, la complexité des jeux rend les questions qui gravitent autour d’autant plus alarmantes et intéressantes : on ne se rend pas compte qu’ils nous échappent, qu’ils sont éphémères car la disponibilité multi-plateformes nous donne le sentiment qu’ils sont encapsulés de façon solide alors que ce n’est pas le cas. Qu’est-ce que l’histoire gardera de la culture vidéoludique de la décennie actuelle (alors qu’on lutte déjà pour préserver l’histoire des anciens jeux) ? C’est la question qui me taraude.
Alors évidemment, comme presque toutes les filles qui jouent ou baignent dans un milieu à forte dominance masculine (la recherche universitaire et le monde de la musique ne sont pas les plus exemplaires en la matière), j’ai été confrontée à plusieurs moments de ma vie à des critiques, tentatives de décrédibilisation de mon travail et sous-entendus, propositions ou remarques totalement déplacés. Que ce soit dans un sens positif ou négatif, c’est bien sûr toujours blessant de comprendre que certains pensent qu’on doit sa place ou qu’on ne la mérite pas à cause d’un élément totalement hors de propos. Cependant, je m’estime “chanceuse” : mon pseudo a longtemps fait que j’étais automatiquement associée à un garçon (après tout, les cactus portent des fleurs sans distinction de sexe...), et à titre personnel, je suis assez éloignée des violents débats qui ont eu lieu autour du féminisme, donc je pense que j’ai échappé à pas mal d’horreurs inadmissibles que rencontrent certaines au quotidien. Par contre je ne suis pas du tout une joueuse de FIFA, et comme j’ai très peu joué en ligne en-dehors de mon cercle de connaissances, je peux difficilement témoigner de mon implication dans des communautés !
Je crois que j’ai fait le tour, merci pour toutes ces questions ! ^^"
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